Luluabourg 2 mai 1962, Victor décolle à destination de Lodja.
Après une absence de près d’un an, suite aux troubles causés par la mort de Patrice Lumumba en février 1961, Victor est de retour au Congo.
Deux jours après son arrivé à Léopoldville, il atterrit à Luluabourg le 27 avril 1962.
Le mercredi 2 mai 1962 Victor décolle à 14h00 de Luluabourg à destination de Lodja.
Arrivé à Lodja la camionnette de la COTONCO n’est pas au rendez-vous.
C’est une vieille guimbarde qui le dépose à l’hôtel PIRET où il logera avant de continuer sa route vers Lomela.
Le propriétaire de l’hôtel Piret est toujours le même Cow-Boy au cœur d’or, mais inutile de s’étendre sur le confort.
Lundi 7 mai 1962, Victor quitte Lodja et prend la route en direction de Lomela.
Il relate cette dernière étape dans ses lettres du 7 mai et du 10 mai 1962.
Lettre de Victor – Kutusongo le 7 mai 1962
Chère petite femme de ma vie,
Je commence la dernière étape de mon voyage.
Joseph (STRYPSTEIN) conduit le premier camion, Martin le second, les troisième et quatrième sont des chauffeurs Congolais et Jean (STRYPSTEIN) ferme la colonne avec sa camionnette, c’est lui que j’accompagne.
Nous avons aussi l’occasion de bavarder et il m’expose ses projets.
Lomela, par rapport aux autres territoires est pauvre.
Cela résulte du fait –paradoxe – qu’il est producteur et exportateur mais les produits n’ayant pas augmentés, il touche de misérables francs et Léo (Léopoldville) garde les devises étrangères et les marchandises.
Les pièces de rechanges font défaut et le travail de garage (FOMETRA-Lomela) n’est pas payant, par contre il le serait à Lodja.
COLOCOTON n’a pas de mécanicien, celui de CADEC part en congé.
Jean ne se plait pas à la COTONCO, il y est d’ailleurs exploité.
Il touche 7.000 Frs au Congo et 11.000 en Belgique.
Avec 7.000 Frs Impossible de vivre (femme, enfants + 2 boys).
Il est débiteur de 60.000 Frs à la COTONCO et n’a encore reçu aucun avis de crédit de la Belgique.
Tu vois la combine passible par COTONCO.
Le territoire de Lodja a proposé à Jean la parcelle de FONTAINE contre un loyer minime.
Il attend mon rapport sur FOMETRA.
Le Hangar de Maurice Fontaine en construction à Lodja – photo de 1956.
Le Hangar de Maurice Fontaine en construction à Lodja – photo de 1956.
Nous arrivons à Kutusongo vers 3h00.
Monsieur VRANCKEN est Directeur, HARDIS (sans sa femme) remplace LEJEUNE.
Kutusongo travaille à plein rendement. 100 tonnes de CTC (caoutchouc) par mois.
Ils ont loué 6 camions à l’ONU et avec les 4 nouveaux leur parc est reconstitué.
J’apprends qu’un camion ONU a brûlé complètement avec 15 fûts essence à Pelenge, cela ne fait plus que 9 camions.
Mardi 8 mai 1962
J’ai l’occasion de faire un tour d’horizon avec monsieur VRANCKEN, toujours la même conclusion.
Si les planteurs ne trouvent rien à acheter ils ne continueront pas à travailler.
Je soulève le litige café. Il ne reste plus un seul document à ce sujet à Kutusongo. Toutes les archives ont disparu.
J’établirai des copies des faits à partir des pièces en ma possession. Il transmettra à Bruxelles.
Dans la soirée j’ai une longue conversation avec Joseph (STRYPSTEIN).
Il a pris la décision de se marier, il veut être en règle avec sa conscience de Chrétien et puisque sa vie est en Afrique … que veux-tu que je dise, c’est l’affaire de Jef !
Dès qu’il sera marié il compte venir avec toute sa famille en Belgique et voudrais louer le temps de son séjour.
3 mois, une petite villa ou maison meublée dans les environs de Bruxelles.
Je lui ai promis que dès qu’il connaîtrait la date de son voyage tu t’informerais à ce sujet.
Mercredi 9 mai 1962
Nous devons partir Jean et moi à Lomela via Eyangu cet après-midi.
J’avais promis au Père Bernardin (Pierre COLLE) de loger à la mission et je tiendrai ma promesse.
Il est 1h00 quand une combi s’arrête devant la maison de Jean. Un Congolais se présente en me saluant.
Surprise il s’agit de notre CDD – Commissaire de district – YULE Jacques. Celui qui est venu nous délivrer et que je croyais mort.
Il me raconte ses aventures : arrêté à Lodja, roué de coups il est amené jusqu’à Bena-Dibele, puis au cours de leur retraite vers Kindu et Stanleyville son calvaire dure 3 semaines.
Il arrive à Stan dans un état tel qu’il est hospitalisé pendant un mois, grâce à l’intervention du General LUNDULA, dont tout le monde dit le plus grand bien.
A la reprise des relations entre Léopoldville et Stanleyville il a pu quitter et travaille actuellement à Boende.
Il vient d’ailleurs d’Ikela pour reprendre les bagages qu’il avait en dépôt à Kutusongo.
De Kutusongo à la mission la route, sauf en certain endroit où il est impossible de passer par temps de pluie, est assez bonne pour camion et camionnettes mais pas pour les voitures d’ailleurs fort rares.
Nous sommes salués partout comme autrefois et cela se comprend, dans l’esprit de ces gens le blanc est et reste synonyme de prospérité et justice et c’est ce qu’ils espèrent et saluent en nous.
Voici la petite route de la mission.
Elle me rappelle toujours notre voyage de nuit dans la voiture de TORFS (administrateur du territoire de Lomela en 1952) vers la mission et la délivrance (naissance de Sylviane de Caluwé le 5 janvier 1952).
Comme tu me serrais fort quand tu avais mal.
Le dispensaire où notre poupée est née est toujours là, puis l’église et ensuite la Mission… le Père Luc et, accourant de l’église, le père Bernardin. Tout est calme, rien n’a changé, absolument rien.
Quand les missionnaires sont revenus sans être annoncés, personnes ne les attendait. Quelle vocation, quelle démonstration de foie.
Les portes furent ouvertes et tout était là comme s’ils avaient quitté la veille.
Rallumer le frigo, allumer le réchaud, remettre des pilles dans la radio, allumer le feu du four, prendre des boites de conserve dans la réserve, tout est là.
A l’église tout était paré pour Pâques, le crucifix recouvert de fleurs, elle n’attendait que le curé…
L’école primaire fonctionne mais pas le collège et les Pères manquent de livres scolaires pour reprendre les cours.
A bavarder une soirée est vite passée et je reçois la chambre que nous avons occupé ensemble.
Que de souvenir. Plus je m’approche de Lomela et plus je me sens bien.
Je te dis au revoir avec des tendres baisers. Embrasse nos trois trésors par leur papa et affectueusement à toute notre famille.
Ton Vic.
Première page de la lettre du 7 mai 1962 depuis Kutusongo.
Première page de la lettre du 10 mai 1962 depuis Lomela.
Père Luc – Jozef VERVYNCK.
Lettre de Victor – Lomela le 10 mai 1962
Cette fois-ci c’est l’ultime étape pour Lomela.
Le Père Luc (Jozef VERVYNCK) nous accompagne, il restera à Lomela probablement jusqu’au retour de Père Léo (Leo MOYAERT).
Depuis la mission les quinze kilomètres nous demandent 1 heure et voici le bac. Les eaux sont terriblement hautes. La digue est inondée, impossible de passer avec le véhicule.
Un camion benne état attend de l’autre côté et c’est WETSHOLO qui me crie la bienvenue.
Je passe seul en pirogue, Jean et le Père Luc attendront un véhicule FOMETRA tandis que je monte vers le poste.
Arrêt au bureau du territoire. Des poignées de mains de tous les côtés et présentation à l’AT (Agent territorial).
Il parait qu’il est très bien mais, ex commis Titre Foncier, aucune formation pour ce poste. Il est vrai qu’il n’est pas le seul.
Soldats et police territoriale n’existent plus à Lomela, sauf quelque vieux pour le bloc, la population n’en veut plus.
Elle a trop souffert des exactions et violences de ces gens.
Je continue vers le centre commercial, plus un arbre. Tous les palmiers du poste au rond-point ont été rasés et les fûts trainent au bord de la route.
Motif, leur ombre empêchait la route de séchée. Maintenant la route est une mer de sable.
Chez nous des fleurs partout et notre fidèle personnel est là.
Antoine OKUNDA, Joseph SHAKO, ESHIMA, les deux sentinelles ex Allaert, le mécanicien et le charpentier. Bien qu’ils ne travaillent plus, ils sont là aussi.
WANDJA manque à l’appel. Il est parti pour Stanleyville et est bloqué au Lomami.
Je rentre dans la maison, tout est là, il me semble que j’ai quitté hier.
Notre vieille maison a tenu, si le toit ne cédait pas de partout elle serait encore habitable deux ou trois ans.
Ce n’est que dans la chambre à coucher qu’il pleut juste à côté du lit. Monter sur le toit est une catastrophe.
Dans la salle de bain je retrouve mon dentifrice, savon, lotion, crèmes, médicaments, tout… c’est incroyable.
Plan de la maison de Caluwé sur la parcelle n° 4 du Centre Commercial de Lomela.
La maison de Caluwé avec barza du côté magasin.
La maison de Caluwé avec barza du côté jardin.
Voilà la population qui s’amène. Je suis à l’arrière de notre maison sur notre barza (terrasse couverte).
Le comité d’accueil est composé du personnel enseignant et notable de la cité. Ils me font un beau discours et me remettent des cadeaux.
Poules, œufs, fleurs et une belle pointe d’ivoire travaillé.
A mon tour, j’y vais d’une petite improvisation en réponse à leurs souhaits de bienvenue.
Les premières paroles ont du mal à sortir. Je suis vraiment ému.
Tous me demandent des nouvelles de Madame, Jean-Paul, Sylviane, Michel.
Bazali malamu ? Vont-ils bien ?
Bakomi monene ! Ils sont devenus grands !
Madame ekanete libumu mosuni ? Madame est-elle enceinte ?
Heureusement j’ai la photo de Michou et Sylviane mais pas de toi et de Jean-Paul, rien de récent.
Je voudrais que tu fasses faire par le photographe de l’école une photo de toi, une de Jean-Paul et enfin une de vous quatre.
Enfin un peu de temps pour de Caluwé. Je peux vider ma valise, m’installer et le soir même je reçois à ma table Jean et le Père Luc.
Menu : Soupe Chicken, Beefsteak, pomme de terre, épinard, bière et café après.
Il n’y a que de la lumière qui manque et cela se passe aux chandelles.
Vers 10h00 je rentre au lit, notre lit, que de souvenirs, de regrets aussi… c’est pensant à toi que je sombre dans le sommeil.
Je t’embrasse beaucoup. Tendresses aux enfants.
Ton Vic
PS. Donne le discours à Armand, il pourra le faire lire par mes femmes ! Cela leur fera plaisir.
Victor et ‘ses femmes’ à la CAP de Molenbeek.
Victor au travail à la CAP de Molenbeek.
Durant l’année passée en Belgique, de mars 1961 à avril 1962, Armand MOOCK, ami de Victor et frère scout de toujours, lui procure un emploi à la C.A.P. de Molenbeek-Saint-Jean.
En 1962 le Commission d’Assistance Publique de Molenbeek avait ses bureaux rue Vandenboogaerde.
Victor était entouré de collègues féminins, ce qui explique ‘ses femmes’.
Le discours adressé à Victor par les notables Congolais de Lomela est chargé de joie, de regrets et d’espoirs.
A Monsieur V. De Caluwé
Commerçant à LOMELA.
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,
Aujourd’hui, nous sommes extrêmement heureux de vous voir rentrer parmi nous et nous vous en remercions infiniment.
Excusez-nous, Monsieur De Caluwé, de vous demander pardon quant aux événements qui ont été déroulés en février 1961 ; les événements dont vous étiez victime d’agression suivant notre coutume ancestrale dont nous étions obligés d’appliquer pour la mort de notre cher regretté, Patrice LUMUMBA, Libérateur du Congo.
Cela, admettez- le, se passe partout et vous le savez très bien plus que nous.
En effet, dans chaque pays qui accède nouvellement à son indépendance politique, des troubles et des désordres doivent souvent s’y produire.
Mais enfin, répétons les paroles du Chef de l’Etat Congolais adressées aux Parlementaires réunis à Louvanium lors de la Réconciliation Nationale :
‘’OUBLIONS LE PASSÉ’’
Monsieur De Caluwé, c’est vous qui êtes le plus grand commerçant, un des fondateurs de Lomela qui a beaucoup travaillé pour l’amélioration de ce Territoire depuis votre arrivée par vos activités commerciales très nécessaires dans toute l’étendue du Territoire.
Permettez-nous de vous dire, Monsieur De Caluwé, que votre œuvre amélioratrice n’a pas encore pris fin et ce dont vous vous êtes permis d’abandonner votre famille pour revenir à Lomela. Veuillez trouver ici, nos vives félicitations.
Monsieur De Caluwé, en vue d’exercer convenablement et paisiblement vos activités suspendues, la population de ce Territoire vous demande une parfaite COLLABORATION FRATERNELLE et, elle aussi de son tour, vous en rendra avec toute sincère amitié.
Vos fonctions commerciales étant très loin de toute politique, la population vous demande également de vous en abstenir car, ceci ne fera qu’éloigner cette bonne collaboration et principalement la bonne marche de vos activités.
Pour terminer, nous vous souhaitons encore la bienvenue, bon séjour à Lomela et la reprise normale de vos activités avec votre aide, Monsieur OKUNDA Antoine comme dans le passé.
Et pour vous témoigner notre parfaite sympathie, nous vous offrons cet objet d’art que vous allez garder pour souvenir de cette journée de joie.
Vive le Territoire de Lomela !
Vive Monsieur V. De Caluwé !
Lomela, le 9 mai 1962
Discours adressé à Victor de Caluwé le 9 mai 1962..
Comment, dans un contexte économique précaire, préserver les activités de la FOMETRA ?
En ce mois de mai 1962, Jean STRYPSTEIN et Victor de CALUWÉ développent les points d’actions suivants :
les inventaires de ce qui reste.
supprimer, sauf pour la firme de Caluwé, le transport pour tiers.
remise en état et vente des véhicules excédentaires et des pièces de réemploi.
Objectif final, payement de toutes les dettes et, si le marché de Lomela n’est pas rentable, location des bâtiments FOMETRA et déménagement du matériel à Lodja.
L’état a offert l’ex parcelle FONTAINE. Seuls les points 1 à 3 sont à retenir actuellement.
Victor fait parvenir à Marie-Louise, à Bruxelles depuis l’indépendance, une première commande FOMETRA datée du 19 mai 1962.
Celle-ci énumère les pièces nécessaires à la remise en état d’un camion Bedford type A5 LCG.